La loupe

Nourrir la population de façon durable

News Icon 23/06/2014

Nourrir davantage de personnes à partir de la même terre et pour toujours

« L'intensification – l'industrialisation des campagnes – est tout sauf durable. »

Comment nourrir davantage de personnes à partir de la même surface de terre ? C'est le défi du 21siècle et c'est, de mon point de vue, la bonne question à poser. Durant le York’s Festival of Ideas (Festival des idées de York), c'était également le point central abordé par le professeur Charles Godfray de l'université d'Oxford, spécialiste des systèmes alimentaires, lors de son allocution d'ouverture sur le défi que représente nourrir 9 à 10 milliards de personnes. Mais je suis inquiet de la vitesse à laquelle la bonne question peut être déformée.

Il y a quelques années, Charles a choisi l'expression « intensification durable » (que l'on retrouve aussi sous l'expression « agriculture écologiquement intensive ») pour décrire ce qui, à son avis, devait être fait. Dès lors, cette phrase est devenue le jouet du hasard. Il est évident que j'approuve une bonne partie de l'analyse de Charles et que je suis entièrement d'accord en ce qui concerne le besoin d'obtenir davantage de nourriture à partir de la même surface de terre, tout en ayant moins d'impact sur l'environnement.

Ce qui m'inquiète vraiment dans cette « intensification durable », c'est qu'elle est dangereusement trompeuse ; à tel point que les intérêts de l'agro-industrie ont saisi cet appel aux armes et détourné la phrase dans l'espoir d'augmenter l'élevage intensif. Et ainsi, une partie du sens des mots soigneusement choisis du professeur Godfray a été perdue.

À York, Charles m'a demandé quelle expression j'utiliserais à la place d'« intensification durable ». À la réflexion, je suis frappé par le fait que « nourrir la population de façon durable » est une bien meilleure expression ; elle résume la difficulté sans être contraignante sur les moyens de la résolution.

De mon point de vue, elle est bien meilleure que « intensification durable », expression que j'aborde longuement dans mon livre Farmageddon, en montrant que l'intensification – l'industrialisation des campagnes – est tout sauf durable.

La population mondiale devrait se stabiliser à 10 milliards d'habitants d'ici la fin du siècle, soit trois milliards de plus qu'aujourd'hui. À York, chaque conférencier devait répondre à la question « pouvons-nous nourrir autant d'habitants ? ». Charles et moi avons répondu oui, tout comme les autres conférenciers.

Nous vivons dans un monde d'abondance. Au niveau mondial, nous produisons déjà assez de nourriture pour alimenter de 11 à 14 milliards de personnes. Le problème est que nous en gaspillons plus de la moitié. Une grande partie est perdue lorsque nous jetons de la nourriture à la maison, dans les supermarchés ou pendant la transformation. Toutefois, le principal gaspillage de nourriture sur la planète provient de l'alimentation des animaux d'élevages industriels à partir de précieuses récoltes cultivées sur des terres arables. Si les céréales utilisées pour nourrir ces animaux d'élevages industriels étaient données directement aux personnes, nous pourrions nourrir quatre milliards d'habitants en plus.

Les chercheurs de l'université du Minnesota (Etats-Unis) sont d'accord. Ils appellent à un changement de notre définition des productions agricoles. Plutôt qu'une vision étroite de la quantité produite en termes de quintaux par hectare, ils plaident pour une approche plus centrée sur l'humain, sur le nombre de personnes nourries par hectare.

Leur étude a analysé la production agricole moyenne mondiale et l'a comparée au nombre de personnes nourries. Ils ont constaté qu'à l'échelle mondiale, la production agricole pourrait nourrir 10 personnes par hectare, mais n'en nourrit que six. Aux Etats-Unis, le berceau spirituel de l'agriculture industrielle, les terres cultivées produisent suffisamment pour nourrir largement 16 personnes par hectare. Toutefois, lorsqu'il s'agit du nombre de personnes effectivement nourries par hectare, les États-Unis comptent parmi les plus inefficaces, nourrissant en réalité moins de six personnes par hectare.

Alors, où vont ces calories perdues ? Elles sont utilisées par les animaux, du simple fait de vivre ; nous ne récupérons que 30 % de la valeur alimentaire de la nourriture donnée aux animaux, sous forme de viande, lait et œufs.

Cela ne signifie pas que nous ne devons pas avoir des animaux d'élevage. Ce dont nous avons besoin, c'est de mettre fin à la concurrence entre les humains et les animaux pour l'alimentation, et nous pouvons y parvenir en remettant les animaux domestiques là où ils devraient être : à la ferme, sur des pâturages, des terres marginales, des zones boisées.

Lorsque nous envisageons le système alimentaire du point de vue du nombre de personnes qui peuvent être nourries, plutôt que des quintaux par hectare, nous obtenons une perspective très différente sur l'« efficacité » de la production, et c'est une perspective bien plus utile lorsqu'il s'agit de répondre au défi consistant à « nourrir la population de façon durable ».

Auteur : Philip Lymbery, Directeur de CIWF International

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